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Décembre 2011

Décembre 2011

L’information poétique; Tomas Tranströmer ; Zbigniew Herbert ; Philippe Jacottet ; André du Bouchet ; Jean-Claude Caër ; Gérard Titus-Carmel ; Bernaette Engel-Roux ; Bernard Fournier ; Sur le débat prose/poésie.

Crise de l’information poétique.

Est l’évidence même la défaillance générale d’information sur la poésie et ses productions, en France. Ce constat ne vaut pas pour d’autres cultures. Des journaux comme le Guardian ainsi que le TLS en Angleterre; El Pais mais plus encore ABC en Espagne, continuent d’assurer quant à eux une information plus que correcte, en qualité et en fréquence. Le phénomène français a plusieurs explications. À commencer par la crise qui frappe la presse écrite, de plus en plus exsangue à tous points de vue : rareté des finances, restriction des sources, médiocrité du style etc…

Repli des poètes sur eux-mêmes.

On pourrait imaginer une réaction des poètes à cet état de fait, une prise à leur compte du travail d’information. Rien de tel, en apparence. Des revues sont en fin de course, qui jamais ne firent mention des parutions. De nouvelles se créent, dont ce n’est pas le souci principal. Une sorte de négligence généralisée envahit le paysage, qui se pare d’accents fatalistes. Car la conception d’une « scène poétique » serait, n’est-ce pas, un leurre. Car les œuvres marquantes finiront toujours bien par être repérées. En fonction de quoi s’installe peu à peu un « autisme » poétique, qui se légitime en pensant implicitement que la poésie porte en elle une critique radicale des sociétés de la communication.

Apparition du poète lecteur des autres poètes.

Posons plutôt qu’être poète et lecteur d’autres poètes n’est pas une incompatibilité. Posons ensuite que la poésie, c’est vrai, s’accommode assez facilement d’une fréquence longue des réactions. Posons surtout que la lecture d’un poète par un autre poète comporte nécessairement une part de subjectivité souhaitable autant que critiquable. Rien en effet ne s’adresse plus à l’humeur et la constitution interne de la personne que le poème. Tenant tous ces préceptes en tête, il sera permis de s’aventurer. Voici, par exemple, le résultat de nos lectures du semestre écoulé, aussi partielles que partiales.

Tomas Tranströmer. Œuvres complètes (1954-2002) Traduit du suédois par Jacques Outin. Postface de Renaud Ego. Le Castor Astral/ Baltiques. Œuvres complètes 1954-2004. Traduit du suédois et préfacé par Jacques Outin. Avertissement de Kjell Espmark. Postface de Renaud Ego. NRF/Gallimard.

Qu’un poète suédois remporte le prix Nobel décerné par la Suède n’a rien de choquant. Ils ne furent pas si nombreux. D’ailleurs, Suédois ou pas, les poètes récompensés du Nobel deviennent rares. Cela signifie-t-il quelque chose ? Pas nécessairement. La rareté en question serait-elle un critère de qualité ? Non, d’aucune façon. Dans le cas de Tranströmer un élément émotionnel s’ajoute au choix de la personne. Âgé de 80 ans, Tranströmer a été frappé d’aphasie en 1990. Depuis, il est revenu à l’écriture sous forme de poèmes courts, quasiment des haïkus, dont l’inclusion dans l’anthologie Gallimard constitue la seule différence notable entre les deux éditions proposées. Qu’est-ce qui frappe dans cette poésie ? D’abord la continuité, formelle et d’inspiration, jusqu’à l’accident de 1990. Il semble (je dis bien ‘semble’ car le traducteur ne nous apprend rien sur le sujet) que Tranströmer travaille depuis l’origine en vers ou versets libres, le plus souvent répartis en strophes. Il est assurément question de musique, dans la préface de Jacques Outin, mais sous la forme la plus vague et la plus thématique : « La poésie de Tranströmer échappe à la construction et aux systèmes traditionnels, mais elle s’inspire fréquemment du travail de composition musicale et reprend certaines de ses formes » . On aimerait en savoir un peu plus. Par ‘inspiration’, nous entendons le climat engendré par les poèmes dans leur succession, au fil des années. Avec Tranströmer nous sommes au Nord, à l’évidence. Très au Nord. « Il y a, au milieu de la forêt, une clairière insoupçonnée que ne découvre que celui qui s’égare./ La clairière est cernée par une forêt qui étouffe peu à peu ». Cette notation, choisie au hasard, rend bien compte du combat contre l’étouffement par la Nature qui constitue l’un des axes majeurs de cette poésie. L’aphasie guette depuis toujours, à l’évidence. « Mes rivages sont bas, si la mort montait de vingt centimètres, je serais submergé ». L’humour ni la distance ne paraissent vraiment armés pour affronter l’angoisse qui sourd de tous côtés. La seule parade envisagée est l’ellipse. On insiste beaucoup (les préfaciers) sur la qualité des images de Tranströmer, qui l’apparenteraient à un surréalisme nordique. Bien plus frappantes que les images, qui ne sont que réel transfiguré, nous semblent être les ellipses utilisées pour distendre la syntaxe de l’étouffement. Prenons, au hasard, l’exemple de ces deux vers longs accolés l’un à l’autre entre deux blancs du poème « Carillon » (La Place sauvage 1983)

Personne ne décide où je vais, et encore moins moi-même, mais chaque pas se fait là où il faut.
Pouvoir se promener dans des guerres fossiles où tous sont invulnérables parce que déjà morts !

Si l’on scrute de plus près la logique apparemment consécutive des deux propositions, on reste perplexe et désorienté. C’est le but recherché mais trouver un chemin sûr dans la forêt des sens est un exercice permanent. En ce sens Tranströmer est tout sauf un poète confortable. La lecture de son oeuvre évoque immanquablement Ingmar Bergman son compatriote. On dirait d’un climat Fraises sauvages généralisé, d’une allée et venue d’ombres à travers la frontière vespérale avec la mort.

Zbigniew Herbert. « Corde de lumière. Œuvres poétiques complètes » I. Édition bilingue. Traduction du polonais par Brigitte Gautier. Le Bruit du Temps

L’adolescence de Zbigniew Herbert, 15 ans en 1939, coïncide avec les courtes années de liberté nationale que connaît son pays, libéré en 1918 de 123 années de captivité et d’annexion par l’Autriche, la Prusse et la Russie. Sitôt ouverte la seconde guerre mondiale, la Pologne est de nouveau occupée par l’Allemagne en 1941, on sait avec quelles conséquences désastreuses, avant de passer sous domination soviétique jusqu’en 1989. Résultat de tant d’avatars politiques, la ville polonaise natale de Herbert, Lwov, est aujourd’hui en Ukraine. Au bout d’interminables années de résistance, de dénuement, d’errance à travers les capitales de l’Europe occidentale, Herbert rejoindra enfin Varsovie en 1992, pour y disparaître ironiquement aussitôt (1998). Comme pour tant d’autres écrivains polonais avant lui (Mickiewicz, Conrad, Gombrowicz ou Milosz) l’exil, sous forme intérieure et extérieure, aura donc été la circonstance majeure de son œuvre. Que couronneront plusieurs prix prestigieux à l’exception du Nobel, accordé à ses compatriotes Czeslaw Milosz (devenu citoyen américain), en 1980 puis Wislawa Szymborska en 1996. Aujourd’hui que les protestations contre cet arbitraire des récompenses se sont éteintes, on peut mesurer à loisir l’envergure de Zbigniew Herbert. Grâce à cette splendide édition bilingue entreprise par le Bruit du Temps et unanimement louée par la presse littéraire française. Comme pour se dédouaner de son inertie générale vis à vis de la production poétique ! Cela dit, Herbert est assurément un très bon poète, maître de la prose courte et claire, aussi bien que du poème narratif construit. Chez lui, le jeu avec le réel extérieur implique une prise de risque elle aussi bien réelle. Écrire le poème, dans de pareilles conditions, est comme de venir au plus près du danger pour le dénoncer et le démasquer mais aussi l’esquiver à l’ultime seconde. Se met en place ici un art de la survie lucide où les images demeurent toujours suffisamment explicites :

/…

Il fera nuit dans la neige profonde
qui a le pouvoir d’étouffer les pas
dans l’ombre profonde qui transforme
les corps en deux flaques de pénombre
allongés retenant notre souffle
et le plus léger murmure d’une idée

si les loups ne nous débusquent pas
et si l’homme en pelisse endort
sur son sein la mort à répétition
il faut s’élancer et courir
sous les applaudissements de courtes salves sèches
vers la rive désirée

/….

Ce poème intitulé Réponse figure dans Hermès, le chien et l’étoile, deuxième recueil du poète paru en 1957. Nanti de ces indications on comprend parfaitement le contexte, comment les images, nées de ces périodes de glaciation, valent pour toutes les situations similaires passées ou à venir dans l’histoire du monde. C’est à la fois la précision des notations et l’humour qui font la force de ce dessinateur à regard froid. Un tireur d’élite, Herbert ? Oui sans doute. Avec l’espoir jamais abandonné, cependant, « mortellement sérieux/ (d’) offrir au monde trahi/ une rose »

Philippe Jacottet. « L’encre serait de l’ombre. Notes, proses et poèmes choisis par l’auteur 1946-2008 » Poésie/Gallimard

Le conditionnel du titre « L’encre serait de l’ombre » est pour le moins bizarre. Programmatique, il semble jeter l’ombre, précisément, sur son auteur. Quel est-il, en vérité ? L’auteur lui-même du recueil ou un impersonnel « on » à qui l’on attribuerait un manque de substance de l’écriture ? Au sortir de la précision sans compromission du dessin d’Herbert, nous avons tout de suite l’impression de retrouver nos jeux de serre favoris : Blanchot ou Maeterlinck. Peut-on attendre autre chose de la poésie française contemporaine ? Oui, assurément. Les « années langage » ont usé jusqu’à la corde nos attentes, nos réflexes. Aussi bien sur le versant dissémination exubérante des mots que sur l’ubac des retraits ombreux. Le monde vespéral auquel nous convie l’éminent traducteur de l’allemand Philippe Jacottet, tend indéniablement vers le monde nordique de Tomas Tranströmer. La geste germanique ancienne aurait-elle ici quelque incidence climatique profonde ?

Dans l’herbe à l’hiver survivant
ces ombres moins pesantes qu’elle,
des timides bois patients
sont la discrète, la fidèle,

l’encore imperceptible mort

Toujours dans le jour tournant
ce vol autour de nos corps
Toujours dans le champ du jour
ces tombes d’ardoise bleue

Ayant bien pris soin, en posant nos préceptes, de revendiquer la légitimité de nos réactions au climat poétique proposé par les poètes, nous nous sentons d’autant plus libre pour dire, avec appréciation, combien la prose, très présente dans cette anthologie choisie par son auteur, est puissante par contraste avec le vers trop essoufflé. À quoi cela tient-il ? À l’allure, au rythme et à l’enchaînement des images qui nous font visiter le même paysage nocturne d’un pas ample et obstiné. C’est de poids du corps sur la terre qu’il s’agit alors. L’enveloppement par les ombres du soir est devenu tellement plus intense tout à coup, la prégnance de la nuit se diffuse comme chez Novalis, nous marchons, à tous les sens de l’expression.

J’ai dit une fois le pré de mai, une fête gaie et fragile, mais aujourd’hui ce n’est pas le même, ni à la même heure ; ce sont plutôt des prés, plus vagues, plus vastes, et qui sont vus non pas en plein soleil, mais le soir ; dans un vallon où les terres malgré les drainages sont restées humides, vite détrempées, et où semblent flotter de grands buissons sauvages mais d’une forme régulière, telles de coupoles abritant un chœur de rossignols, entre des murs bas et des chemins eux-mêmes herbeux, sous un ciel gris …(Mai dans « Beauregard »)

Ce sont pourtant les mêmes mots que ceux employés par le poème. Oui mais ce n’est pas la même respiration. À croire que, comme le revendiquent de nombreux prosateurs contemporains (mais Paul Claudel, déjà!) la véritable poésie » se rencontrerait, en langue française, dans la prose. Pour les héritiers de Baudelaire, dont nous sommes, les deux localisations sont cependant possibles. Simultanément ? Cela est une autre histoire !

André du Bouchet. Ici en deux. Préface de Michel Collot. Poésie/Gallimard

Sans vouloir les fondre dans un même décor, les poètes Jacottet et Du Bouchet ont lien avec un même département, la Drôme. Certes, Truinas, où vécut du Bouchet, est plus au nord, plus près des Alpes et fait partie de la Drôme préalpine. Jacottet, lui, vit à Grignan dans la Drôme provençale, plus au sud. Différence de relief, de personnalités, de provenance poétique, les deux tempéraments ont produit deux poésies totalement différentes sur un même terrain. L’espace, chez André du Bouchet, est l’occasion d’une aération, d’une respiration en altitude. La page accorde une place majeure au blanc, dispersant la syntaxe et laissant à l’esprit lecteur le temps d’une manducation lente.

                             …/la terre sortie
                           de la
                                 soif

                           si
                             elle retourne à la terre

                           je suis désaltéré.

On palpe, on avance, on revient sur ses propres pas, on se réitère la phrase disjointe, on opère un remembrement. Bref on marche du pas du promeneur qui agrémente son itinéraire de questions, de pensées sur la présence au monde. Une énigme le monde, que la parole plie en deux, chaque fragment –plutôt que vers—formant pli. Le poète devient alors son propre topographe, avec cet incroyable talent de rendre matériellement palpable le souffle de la marche et la présence de l’air où ce souffle puise. Un matérialiste actif, Du Bouchet.

Cela
                                    est proche

                  puisque
                  la substance en moi qui souffle
                  est

                  la même
                  que

                  l’autre des lointains

Gérard Titus-Carmel. Ressac. Obsidiane

Entre deux mouvements de la marée, montante et descendante, articulés chacun en 10 moments, Titus-Carmel nous livre 30 états du ressac composés d’un poème en 3 tercets sur la page verso et d’un texte de prose en italique sur la page recto. D’un côté l’attention à dire de manière musicale, discrètement allitérative, l’inépuisable de la mer en mouvement,

Où rompt la mer sans défaut qui se renverse
crantée devant l’invisible et mourant épuisée
dans l’itération des vagues impeccables

rondes toutes sœurs quant à rouler
la suave écume avant de s’enfouir plus bas que le monde
sous le ciel jamais semblable

enveloppant pareillement ombre & mémoire
dans la fraîcheur vaste comme acanthe retorse
vive toujours mouvante

de l’autre une réflexion en italique, comme couchée par le vent sur le sable, posant des questions sur la présence au monde devant cette immensité à chaque seconde renouvelée

nous n’avions prévu de venir que pour nous assurer de notre présence au monde

et l’on soumet notre cuisant sentiment d’impermanence à l’énigme que porte chaque vague venant s’écraser à nos pieds : d’un mystère l’autre, chère, qui ! de nous deux cessera de broncher le premier ?

Cette composition construite de 92 pages fait entendre avec justesse et sobriété la vaste échelle musicale de la rumeur marine. Il faut s’y immerger autant que la lire.

Jean-Claude Caër. En route pour Haida Gwaii. Obsidiane

L’explication de ce titre exotique, donnée par l’auteur en note à la fin de son texte, fait référence au peuple indien Haida et aux îles nommées par les colonisateurs Queen Charlotte Islands avant de se voir rebaptisées depuis 2010 Haida Gwaii. Invocations indiennes, mais aussi à la poésie américaine (James Schuyler, Louis Zukofsky, Jack Kerouac) comme aux figures tutélaires locales (Malcolm Lowry à Vancouver), le recueil de Jean-Claude Caër est un retour rafraîchissant aux grandes traversées nord-américaines. Du Maine, l’état le plus sauvage de la côte Est à la Colombie britannique, on suit allègrement le voyageur avec le plaisir des chemins déjà foulés mais aussi redécouverts par une sensibilité juste et modeste à la fois. Écrivant une prose simple, Caër engage la conversation avec nous qui devenons complices de ses réactions et partageons ses instants de solitude et de désespoir au milieu de l’immensité forestière canadienne (wilderness). Gary Snyder n’est nulle part nommé mais sa présence est diffusément sensible, comme dans cette strophe :

Ce corbeau tout près de moi sur la branche très noir, très beau.
Je ressens l’intensité de sa présence.
De profil derrière la vitre sur la branche.
Nos deux vies.

Sans oublier ce sentiment qui affleure à chaque virage de la route, une nostalgie pour l’indéfinissable quelque chose qui, tôt ou tard, disparaîtra :

Et moi-même que suis-je venu faire dans ce monde crépusculaire,
Changeant et mystérieux, gorgé d’eau,
Où les totems tombent en ruines ?

Bernadette Engel-Roux. Aubes. Le bois d’Orion

Absolue stabilité dans l’espace pour Bernadette Engel-Roux, à la différence du recueil précédent. Face à « ses » Pyrénées, l’auteur s’assied à sa table, très tôt chaque matin depuis plus de six ans. Ce sont les meilleures aubes qu’elle a rassemblées dans ce texte d’une centaine de pages, composé entre 2004 et 2010. Comment le qualifier ? De texte en prose, pour commencer, mais d’une prose qu’on dira sans réticence poétique pour ce que la phrase y est constamment tenue dans son rythme et ses images. Poétique, le rythme, par l’emploi de reprises, de retours qui sont autant d’avancées dans la précision, comme les touches d’un peintre. Bernadette Engel-Roux a du plaisir à voir et à dire. La surenchère du dire enrichit l’inépuisable du voir.

D’ici à là, là-bas, mon regard va et vient, perdu dans l’immense bain lustral. Au très loin, la pluie buée à peine des montagnes endormies et si légères en leur sommeil que c’est douceur le soulèvement dans l’aube de leur grand corps de terre. Puis haleine humide sur les collines vigiles de la ville endormie. Herse liquide sur les hêtres proches. Violence sur la prairie, le jardin. Et larmes, ce ruissellement sur les vitres où je m’appuie.

Ce qui fait le prix et le précieux de ce petit livre, ce sont en effet les multiples branches des phrases où se prennent les images oiseaux, chaque matin renouvelées dans l’ordre de la saison. Soit un grand poème de nuit, frontalier indécis de la lumière. Où les montagnes intimes de l’enfance redessinent leurs sommets à l’instant d’ascension de l’écriture.

Bernard Fournier. Marches III. Aspect

Ici, d’autres montagnes. Moins hautes, sans doute. Plus âpres. Où l’on marche aux côtés de l’Olt, rivière d’altitude bien nommée, dans un paysage d’Aubrac, de Cantal et de Lozère. Bernard Fournier, par ailleurs spécialiste de Guillevic, sait ramasser avec beaucoup d’efficacité ce paysage en trois notations. En faire un drame :

Il s’est perdu dans les dédales
D’un village hostile :
Les toits bas le chagrinent
Les regards l’épient
Les voix le persiflent.

Il descend vers les siens
Qui ne le reconnaissent pas.

Comme tel.

C’est sec, précis et lucide comme un constat sur les fausses valeurs du village idéal que nous avons tous en tête. Seule la géographie est belle :

Rouergue, terre de causses,
Terre de hiboux, terre de cailloux dans les garrigues
Terre de pierres, de vipères et d’aygues ;
L’ombre de la pierre s’ouvre à la sécheresse.

Dieu merci ! la poésie est encore là pour dire l’espace dans son extension, son élasticité. Sa malléabilité. Le poète sera sobrement rassembleur, peu de mots lui suffisant pour dessiner la noblesse d’un projet.

Partout il rencontre des pas qui lui appartiennent :
Tout son corps se dresse à ces voix.

Il ne tient que par cette poussée hercynienne,
Levée de l’Olt.
La mort rappelle une vie
L’appelle sur le plateau,

Tous les horizons le cernent, le comprennent,
L’édifient.

Être poète d’Oc et d’Olt
Pour un jour accorder le chœur brisé des églises.

Sur le débat prose/poésie ou prose/vers
Ce débat n’est pas clos, bien évidemment. L’embarras éprouvé par la presse littéraire avec le poème est à cet égard fort significatif. Rompus que nous sommes aux flots des paroles radiophoniques où aucun blanc ni silence n’est jugé tolérable, notre défaut d’accoutumance à la parole oblique, syncopée et rythmée, que semble être le poème, devient « criant ». S’il ne paraît pas totalement anachronique, on le tolérera tout juste avec l’appui de la musique. Par besoin de ligne harmonieuse continue. Alors, il aura le détachement du relief, constituera une sorte de citation —musique de mots contre musique de sons. Donc musique généralisée ! D’où, concurremment, le retrait de nombre de poètes à la voix —l’organe—mal assurée vers un laconisme de bonne éducation, en accord avec cet ostracisme que leur signifie l’ample er bruyante prose narrative. Pour ne pas subir cet état de fait comme un état définitif, il nous semble plutôt pertinent de réfléchir à de nouvelles expériences d’accord entre rythmes et projets de savoir. Manque absolument, aujourd’hui, le lieu d’une entente, que le seul brouillage des paroles existantes ne suffira pas à indiquer. Sans omettre de poser la question, vitale, du cadre dans lequel le poème devra désormais se déployer. L’entre-lecture des poètes entre eux, pourra être considérée comme une modeste proposition en ce sens.

Jacques Darras

 

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