HAINE DE LA LITTÉRATURE

L’animateur des « Matins de France-Culture » se confie dans un récent supplément du journal « Le Monde ». Il fut pour commencer un étudiant de la filière Lettres d’une École Normale Supérieure. Laquelle ? Celle qu’on appelait naguère Saint-Cloud, du nom de la banlieue parisienne où elle était située, pour quoi ses élèves portaient le sobriquet de « cloutards ». La délocalisation de cette école à Lyon, réussie par le député et maire Raymond Barre effaça, comme par une opération du Saint Esprit, le stigmate banlieusard parisien de ses écoliers. Lesquels devinrent à leurs propres yeux comme à ceux des autres de simples et purs Normaliens. Voilà une délocalisation contre laquelle nous n’aurons entendu personne protester !

Le jeune Normalien Animateur de France-Culture confie à son confrère de la Presse écrite que très vite il décida de ne pas continuer ses études littéraires. Rédiger une thèse sur un auteur mineur avant d’aller enseigner sa vie entière dans un Collège, au pire, et au mieux dans une Faculté, n’était pas sa vocation ! Il entrerait dans la vie active et ferait de la radio. Pourquoi pas en effet ? Nous sommes nous-mêmes depuis longtemps effarés par la spécialisation outrancière et mutilante qu’imposent à ceux qui vont enseigner notre langue, les programmes des Facultés.

La sectorisation de la littérature par genre et sous-genre, siècles et quart de siècles, la lumière obstinément dirigée vers les recoins les plus obscurs du tiroir national littéraire sont, à l’Université, faits pour décourager l’esprit généraliste au profit des spécialisations, gratifiantes pour les seuls spécialistes. Qu’on ne s’étonne pas que le français s’étiole à l’étranger ! La littérature, qui est sa sève, a été réduite par ses jardiniers en poudre végétale décorative. Rien d’étonnant à ce que les esprits les plus vigoureux refusent ce traitement. Passer du texte écrit à l’expression orale radiophonique, dans ce cas, est un sursaut de bon aloi.

Cependant nous qui aurons longtemps prêté oreille à la voix agressive et péremptoire de ce jeune animateur matinal de France-Culture avant de fuir vers d’autres chaînes, épuisés par son recours quotidien à des sociologues, socio-politologues, socio-géopolitologues, pouvons témoigner que le traitement littéraire reçu par lui dans son école fut radical. Pas le moindre écrivain invité à son micro ! Pas le plus petit (ou plus grand) romancier ou poète ! Pas la plus petite distance prise vis à vis de l’actualité, pas la moindre analyse qui ne s’appuyât sur une batterie de statistiques ! Aux toutes dernières et bonnes nouvelles, notre jeune Normalien émigrerait à la rentrée vers la chaîne France-Inter. Nous verrons bien si les auditeurs « généralistes » qui font le public de cette chaîne supporteront sa science tempérée d’aucune nuance ni douceur littéraire.

Un des problèmes majeurs de la France contemporaine est celui de la transmission des savoirs. Guère étonnant que l’école et l’Université soient au cœur du débat. Depuis les années soixante-dix les « sciences humaines » analytiques et quantitatives ont laminé les anciennes humanités. Qui, par contre-coup, se sont féodalement réfugiées dans des fiefs étroits et inexpugnables, se parant des vertus de la spécialisation. De même qu’en médecine le praticien généraliste fait figure d’anachronisme aux yeux du spécialiste, le littéraire tout terrain pâlit et disparaît du paysage devant les experts sociologues, psychologues ou autres logues venus parler à sa place. À l’étranger, dans tous les Centres Culturels où l’écrivain français passe, il entend réclamer que la France envoie davantage de poètes et de romanciers. Mais la France, à ces demandes, est muette. Elle parle, elle parle, elle parle à la radio, sans plus rien écouter.

Jacques Darras

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